jeudi 26 novembre 2020

Pauline (2)

 Le premier mois à l’Académie eut tout du calvaire pour Pauline Dubois. 

Sa réussite lors de l’examen d’admission au département des sciences avait rapidement fait le tour du petit milieu universitaire. Les autres candidats ne supportaient pas d’avoir été relégués au rôle de faire-valoir. De quel droit cette femme venue de nulle part pouvait les humilier à ce point et se retrouver non seulement acceptée dans les murs, mais qui plus est directement en troisième année ?

mercredi 25 novembre 2020

Ignacio (2) / Valentina (1)

Elle le trouva un matin. Ignacio était mort dans son sommeil. Raide comme la justice, comme on disait. L’ancêtre avait bien vécu. Quarante ans à naviguer sur l’eau, vingt-cinq à flotter sur l’alcool. Il n’était plus le même depuis des années. Depuis qu’il ne naviguait plus, en fait.

mardi 24 novembre 2020

Sarah (2)

 -Êtes-vous prête ?

La voix de Guillaume Rodrigue résonna dans l’escalier de la la résidence du marchand-fourreur de Narval. Sarah Cattermole grogna en s’escrimant sur la fermeture de sa malle.

-Juste un instant…

Un claquement retentit et elle poussa un sourire de soulagement. Quel calvaire ! Elle remit en place une mèche de cheveu d’un souffle, et poussa un grand soupir. Elle tourna ensuite la tête et, du regard, fit le tour de sa chambre-atelier. Il lui faudrait mettre de côté bien des outils indispensables, ses bocaux de pigments… impossible de tout emmener.

Horacio (2)

 Depuis deux mois qu’Horacio et sa famille vivaient sur Coriandre, l’ancien cambrioleur restait vigilant. Son commanditaire du vol des trois opales dans un hôtel particulier du quartier de la Citadelle de Stralsund lui procurait encore d’affreux cauchemars. Les yeux vairons, la voix rauque, presque métallique, de cet horrible individu traumatiseraient l’homme le plus solide. Horacio avait conscience que son mensonge pouvait coûter cher : il avait assuré qu’aucun problème n’était survenu, alors qu’une servante et deux gardes pourraient peut-être l’identifier. Autrement dit, le propriétaire avait sans aucun doute vérifié ses biens et pris connaissance de la disparition des pierres précieuses bien plus tôt qu’attendu. Or, l’homme à l’écharpe noir échappait au profil du plaisantin…

samedi 21 novembre 2020

Amani (1)

 De quel droit Bertrand avait-il amené cette petite dinde à l’Optimiste curieux ?

Amani Chandragupta enrageait. Leurs recherches étaient de la première importance. Une novice ! Qui plus est du Guet ! Avait-il perdu tout sens commun ?

Il réfléchissait encore par ses boules, pas par sa tête. Et elle était bien trop jeune pour lui, fulmina-t-elle.

Amani allongeait le pas. Sa grande taille diffusait de longues ombres sur le pavé, dans cette nuit éclairée par quelques lampes diffuses dans le quartier de l’Académie. Ses bracelets précieux s’entrechoquaient dans un léger tintement, qui finit par l’agacer.

Cette gamine !

Une petite blonde, qui vient la bouche en coeur traiter leurs recherches sur la Cité blanche de contes pour enfants ? Qu’elle aille au diable ! Et Bertrand avec.

jeudi 19 novembre 2020

Vladimir (2)

 Lorsque l’on a quinze ans, et que l’on a pas une pièce en poche, les choses s’annoncent mal. C’est ce qui arrivait à Vladimir Mozyakin. Depuis son départ du monastère de la déesse de la mer, il lui fallait se creuser la cervelle pour assurer les actes du quotidien les plus simples.

Il avait Sun Li à ses côtés, bien sûr, ce qui, il l’avouait volontiers, lui apportait toute la richesse dont il avait besoin. Sauf un toit sur la tête et de quoi remplir son ventre… Les deux adolescents avaient choisi de quitter un avenir tout tracé de prière et de don de soi au profite d’une vie égoïste ensemble. Les conséquences tombaient sous le sens : ils devaient se débrouiller.

mercredi 18 novembre 2020

Bartoloméo (2)

 S’il avait su, Bartoloméo Sanchez n’aurait jamais accepté ce contrat. 

Oh, il était un pêcheur, il avait l’habitude des voyages en mer difficiles. Les marins subissaient le vent, les tempêtes, le sel et la faim, parfois. Il avait même connu un naufrage, dont il avait été le seul survivant.

Mais la pêche à la morue, ça…

mardi 17 novembre 2020

Oleg (1)

 On les appelait les charognards. Tout le monde les fuyait comme la peste. Et pourtant, tout le monde comptait sur eux.

Oleg Kriushko n’en avait cure. C’était un homme simple, un taiseux. Il faisait simplement son travail. S’occuper des morts.

Qu’il s’agisse d’un puissant dans son palais de pierre ou d’un miséreux mort au fond d’une ruelle boueuse, il était là. Le dernier intercesseur entre la vie et la mort. Son travail consistait à prendre soin du corps, à lui redonner un semblant d’humanité lorsqu’il le fallait. Après cette préparation, Oleg travaillait en lien avec le culte choisi par le défunt, et assistait aux rites funéraires. La mort au quotidien ne le choquait plus.

lundi 16 novembre 2020

Gustav (2)

 Encore une matinée sur Stralsund. Encore une journée pour s’enrichir. 

Gustav Olsen n’avait pas beaucoup dormi. Il y avait beaucoup trop à faire, ces derniers temps. Depuis la décision irréfléchie de son frère de bâtir une deuxième enceinte afin d’abriter les hordes de pouilleux qui s’étaient illégalement installés au pieds des remparts, le principal rival du Consul ne lambinait pas.

Mark (2)

 Cela faisait deux semaines que Mark Olsen et l’Amiral demeuraient sur Jade. Pour Mark, son idylle avec Ginna D’Agostino rendait son séjour agréable. Mais l’Amiral, l’héritier Olsen, tournait en rond.

-Mark, je m’ennuie.

Les deux hommes se retrouvaient encore une fois dans une taverne mal fréquentée. Malgré ses efforts, Mark, garde-du-corps officiel, ne parvenait pas à retenir son jeune maître. L’attrait du danger primait sur tout. Ils visitaient donc un bouge des bas quartiers, proche du port, où des marins aux muscles surdimensionnés jouaient leur paie au cours de parties plus ou moins truquées. S’encanailler était la grande passion du gamin de dix-huit ans. Plus l’alcool était mauvais, mieux c’était.

dimanche 15 novembre 2020

Giovanni (2)

 Giovanni Di Solari vivait un cauchemar. De Jong et ses hommes de main avaient pris leurs aises dans son ambassade de Kimberley. Une aile de la propriété servait désormais de prison pour les domestiques. Les truands ne comptaient pas les laisser partir, au risque de les voir vendre la mèche. Ils étaient vivants… pour l’instant. Quelques mercenaires jouaient le jeu de la domesticité afin d’accueillir les livraisons habituelles, expliquant aux visiteurs qu’un renouvellement de personnel avait été décidé.

vendredi 13 novembre 2020

Teresa (2)

 Teresa Kouros torturait son chignon gris avec agacement. L’autre main tenait un malheureux crayon à mine, qui battait la cadence sur la table. A ses côtés, dans la salle de Justice, un greffier lui fait les gros yeux. Elle n’en tint aucun compte, comme d’habitude, et soupira avec ostentation.

Le juge se racla la voix et poursuivit d’une voix monocorde, annonçant une sentence jouée d’avance. Ce procès pour un vol de bijoux s’était révélé sans intérêt. Un voleur, trois témoins fiables, des preuves retrouvées… Rien de croustillant pour égayer son article dans la Gazette.

jeudi 12 novembre 2020

Martha (2)

Pour Martha, cette journée de recrutement fut une révélation. Lorsqu’elle était arrivée devant le poste de guet, une quarantaine de personnes patientaient. Des jeunes, des anciens, des hommes et des femmes. Certains se connaissaient et discutaient, d’autres observaient de loin. Face à certains hommes aux carrures imposantes, elle s’était sentie comme une petite souris au milieu des fauves. Sa rapière au côté lui sembla incongrue. Qu’est-ce qu’elle faisait là ?

Nerveuse, elle esquissa un pas en arrière et faillit faire demi-tour. Mais la voix de son ancien maître d’armes à Kimberley résonna dans sa tête : “A l’épée, au sabre, à la rapière, au fleuret, c’est pareil. On fait face.”

mardi 10 novembre 2020

Lukas (2)

 Lukas Hollander avait connu son lot de sale coups dans sa vie. Il avait donné à peu près autant de gnons qu’il en avait reçu. Il avait commis des actes bien moches. Trafiqué, tué même. Le pire restait quand même cette caravane maudite, abandonnée en plein désert. Le regard de ces esclaves… de ces gosses…

Comme toutes les nuits, ces fantômes venaient se rappeler à son bon souvenir. Il aurait pu devenir marteau. Mais il s’accrochait. 

lundi 9 novembre 2020

Yulia (2)

 Pour une première journée mouvementée, ce fut une journée mouvementée !

Yulia Tarasova était désormais agente du guet des Pêcheurs. Elle allait patrouiller en uniforme, marcher pendant des heures dans cette ville crasseuse… et sans doute sentir le poisson tous les soirs. Le maudit soleil de Stralsund transformait la criée en bouillon de poisson pourri. Quelle horreur, cette chaleur.

Enfin, au moins aurait-elle une solde qui tomberait régulièrement et lui permettrait de payer son loyer. Dommage que le guet ne fournisse pas une caserne pour s’y installer sans frais.

dimanche 8 novembre 2020

Olivia (2)

 L’examen s’était bien passé.

Cela avait commencé par un test écrit qui n’avait posé aucune difficulté à Olivia. Les questions de droit et les traductions correspondaient parfaitement à ses compétences. En revanche, elle ne s’attendait pas à devoir courir autour d’une piste ou manier des armes… D’une certaine manière, son idée du travail au guet avait été bien trop naïve. Oui, elle pouvait être amenée à se défendre car tout le monde ne respectait pas les agents. Le massacre de la via Oktora aurait du lui servir de rappel.

vendredi 6 novembre 2020

Barbara (2)

 La nuit était tombée depuis une bonne heure sur Stralsund. La ville ne dormait pas, cependant. La touffeur de l’été pesait, et poussait les habitants à investir les places dotées d’une fontaine. Les voisins s’y rejoignaient, les bambins pataugeaient afin de se rafraîchir. Les hommes et femmes, épuisés par leurs journées de travail, installaient des tables sur des tréteaux et dînaient en plein air. Pas question de s’entasser dans des logis étroits et étouffants. La convivialité régnait, et des mets de toutes origines se partageaient dans la bonne humeur.

C’est ce que Barbara aimait dans sa rue du quartier des Pêcheurs. Pour une fois, elle ne participerait pas à ces agapes. Elle était invitée par Bertrand Delestre, archiviste en chef du quartier de l’Académie, à rencontrer quelques uns de ses amis. 

mercredi 4 novembre 2020

Ophélie (2)

 -Vous désirez un thé ? demanda Ophélie, affable.

L’émissaire de la Citadelle déclina avec un grognement. Penché sur un registre comptable, il la repoussa d’un geste, sans même la regarder. Elle haussa les épaules et sortit, non sans jeter un coup d’oeil rapide au dossier. 

Cela avait commencé tôt le matin. Cinq représentants de Mark Olsen, nouveau suprintendant des guets de quartier, étaient venus mettre sans dessus-dessous la petite routine du guet des Pêcheurs.

mardi 3 novembre 2020

Pieter (2)

 C’est mon premier jour. Il faut que je fasse bonne impression.

Pierer van Ryn se préparait, nerveux. Sa mère, telle une abeille affolée, tourbillonnait autour de lui, ajustant les plis de son uniforme flambant neuf. 

-Je t’ai préparé ton déjeuner, mon lapin !

-Maman ! M’appelle pas comme ça, je n’ai plus cinq ans…

-Tu restes mon lapin, répondit-elle, catégorique.

Pieter soupira. Sa mère rayonnait de fierté. Tout le quartier était déjà au courant de son entrée dans le guet des Pêcheurs.

lundi 2 novembre 2020

Omikami (2)

 Omikami brossait ses longs cheveux noirs avec application. Son peigne de jade, l’un des rares souvenirs de son enfance au matriarcat de Tara, allait et venait, chassant les nœuds provoqués par une nuit de sommeil agitée.

Elle avait peiné à trouver le sommeil, cette nuit. Quelque chose la perturbait, mais elle ne savait pas quoi. Pourtant, la nouvelle agente du guet des Pêcheurs avait suivi à la lettre toutes les recommandations de la voie du Roseau.

Le contrôle du souffle. L’image mentale. Agacée après une longue méditation sans effet, la jeune femme avait décidé de s’user physiquement. L’enchaînement des postures ne s’était pas révélé efficace. Elle avait repoussé ses limites, tenu de longues minutes certains mouvements à s’en faire mal aux abdominaux, aux cuisses, aux épaules. Même cela n’avait pas suffi.

dimanche 1 novembre 2020

Kiara (2)

-Putain, je suis en retard !

Kiara sortit du lit en catastrophe, les cheveux bruns en bataille. Elle rejeta la couverture d’un bleu passé. Nue comme un ver, la jeune femme se précipita vers un meuble sur lequel un broc d’eau et une cuvette lui permettraient de faire sa toilette.

-Mmm… l’est quelle heure ? entendit-elle.

-Tôt, andouille ! Magne toi, Kost va te tuer aussi !

Hugo Miranda, sergent du guet des Artisans, leva un sourcil. L’esprit embrumé, il se replongea dans son oreiller.