lundi 27 septembre 2021

Orion (2)

 

Orion se réveilla dans une chambre luxueuse, le crâne martelé par des milliards de petits pics à glace. “Sans doute le vin de Kern”, se dit-il. Il lui faisait toujours un sale effet. Il avait rencontré le propriétaire des vignes lors d’une soirée à Stralsund, et ce sale type, Giovanni Di Solari, puait l’escroc à plein nez. Il était comme son vin : douceâtre en apparence, et plombant en arrière-goût.

La bouche pâteuse, Orion peina à faire le point. Son regard se porta sur des meubles en bois laqué, travaillés, sur lesquels des rosaces gravées représentaient des scènes de chasse. Des candélabres les surmontaient, aux formes de figures féminines graciles. Plus loin, une cheminée éteinte imposante, un tapis de peau de bête. “Ha ouais, les steppes”, se souvint-il. Il soupira. Des odeurs de bois ciré et d’encens flottèrent jusqu’à ses narines. L’Amiral sortit de sa couverture de fourrure, s’assit et grimaça lorsque son pied toucha la pierre glacée.

Un grognement le fit sursauter. Il tourna son visage vers l’origine du bruit et découvrit… une jambe. “Les jambes, ça grogne pas”, s’étonna-t-il, encore embrumé. Il remonta la jambe, qui annonçait un corps svelte, enroulé dans une fourrure argentée. En surgissait le haut d’un dos, qu’Orion se surprit à contempler avec intérêt, dans l’espoir qu’il se retourne afin de distinguer le galbe d’un sein. Au sommet, une longue chevelure rousse, un visage d’ange, des yeux fermés. La renarde.

L’Amiral ne se souvenait de rien, mais il espéra avoir passé une bonne soirée.

Lorsque le visage se tourna vers lui avec un sourire, Orion blêmit et décuva d’un coup.

-Bonjour, jolicoeur, murmura la renarde.

-Bourrasques…

Il était dans le lit de la fille de l’empereur.

 

 

**

Six mois plus tard

“Tu bois trop”, disait toujours son ami Mark. Rabat-joie. L’Amiral souleva son verre, la main tremblante. Une drôle de couleur tournoyait dans un fin récipient de cristal ouvragé. Pas orange. Pas vert. Plutôt… vrange, ou overt?

Il sentit qu’il approchait d’une révélation fondamentale dans l’histoire de l’alcoolisme, mais son esprit ne parvenait pas à atteindre la transcendance. Son cerveau embrumé luttait face à des concepts bien trop compliqués. Il laissa tomber, haussa les épaules et engloutit le liquide. Son gosier brûla d’un feu de forge. Une partie coula à côté de sa bouche, traversa sa barbe taillée par le meilleur barbier de la cour de l’empereur du Nord, et macula son uniforme de cérémonie. Taché, le blason de Stralsund avait désormais l’air ridicule.

-Bourrasques, lâcha-t-il en soupirant.

Pas mauvais, ceci dit. Il lui fallait un autre verre.

Mark, son cousin, son ami, son confident… son garde du corps aussi, ne l’accompagnait plus. Il convolait en justes noces avec une marchande de tissus de Jade, une île des mers du sud, l’une des principales colonies de Stralsund. Un foutu trou à rats peuplé de fanatiques. Une jungle chaude et humide, ravagée par les moustiques, l’île lui avait laissé un mauvais souvenir – il y avait échappé à plusieurs tentatives d’assassinat.

A côté, Stralsund… La ville des arts, du luxe. La grande métropole commerciale rayonnait sur le continent Nord, dominait les mers et tenait à la gorge les royaumes du monde grâce à ses monopoles sur les épices et les denrées rares en provenance du continent Sud. Le grand emporium, dont lui, l’Amiral, ivre, donnait un exemple lamentable auprès des dignitaires de l’empire militaire des steppes nordiques. Un pays plat à perte de vue, peuplé de fous furieux armés jusqu’aux dents, qui lorgnaient sur le sud verdoyant du continent avec des yeux qui brillaient. Une région loin au nord, là où il faisait glacial, là où les types s’habillaient de peaux de bêtes sans aucun goût, là où l’art consistait à dépecer un ennemi et créer un tableau avec ses entrailles. Peuple de poètes, ricana l’Amiral.

-Qu’est-ce que je fous ici gémit-il.

L’océan lui manquait. Il était brut, mais honnête. On savait à quoi s’attendre. La mer ne jouait jamais double jeu.  

Il se prit la tête à deux mains. Par la Dame ! L’alcool ne suffisait même plus à étouffer ses scrupules ni à calmer ses migraines. Le Consul de Stralsund l’avait désigné expressément pour représenter la ville, et il était en train de tout foutre en l’air. Il reprit la carafe de ce liquide… disons vrange, trancha-t-il, et décida de boire directement au goulot. Tout le monde le voyait. Il entendait les murmures moqueurs derrière lui. Il se ferait tancer par sa vieille tante, Roda, l’ambassadrice de Stralsund, une mégère de quatre-vingts ans au caractère de feu. Bah, il avait l’habitude. Il lui manquait juste Mark pour couvrir ses arrières.

Oui, ce foutu lâcheur l’avait prévenu. “Un jour, toi aussi tu te lasseras de butiner de fleur en fleur, et tu trouveras une donzelle qui te fera faire n’importe quoi”. Imbécile de jeune marié.

Il avait raison, ce con. Dommage que la donzelle soit la fille de l’empereur. Et qu’elle lui ait demandé de l’aider à s’évader.

 

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