Orion se réveilla dans une chambre luxueuse, le crâne martelé par des
milliards de petits pics à glace. “Sans doute le vin de Kern”, se dit-il. Il
lui faisait toujours un sale effet. Il avait rencontré le propriétaire des
vignes lors d’une soirée à Stralsund, et ce sale type, Giovanni Di Solari,
puait l’escroc à plein nez. Il était comme son vin : douceâtre en apparence, et
plombant en arrière-goût.
La bouche pâteuse, Orion peina à faire le point. Son regard se porta sur des meubles en bois laqué, travaillés, sur lesquels des rosaces gravées représentaient des scènes de chasse. Des candélabres les surmontaient, aux formes de figures féminines graciles. Plus loin, une cheminée éteinte imposante, un tapis de peau de bête. “Ha ouais, les steppes”, se souvint-il. Il soupira. Des odeurs de bois ciré et d’encens flottèrent jusqu’à ses narines. L’Amiral sortit de sa couverture de fourrure, s’assit et grimaça lorsque son pied toucha la pierre glacée.
Un grognement le
fit sursauter. Il tourna son visage vers l’origine du bruit et découvrit… une jambe. “Les jambes, ça grogne pas”,
s’étonna-t-il, encore embrumé. Il remonta la jambe, qui annonçait un corps
svelte, enroulé dans une fourrure argentée. En surgissait le haut d’un dos,
qu’Orion se surprit à contempler avec intérêt, dans l’espoir qu’il se retourne
afin de distinguer le galbe d’un sein. Au sommet, une longue chevelure rousse,
un visage d’ange, des yeux fermés. La renarde.
L’Amiral ne se souvenait de rien, mais il espéra avoir passé
une bonne soirée.
Lorsque le visage
se tourna vers lui avec un sourire, Orion blêmit
et décuva d’un coup.
-Bonjour, jolicoeur, murmura la renarde.
-Bourrasques…
Il était dans le lit de la fille de l’empereur.
**
Six mois plus tard
“Tu bois trop”, disait toujours son ami Mark. Rabat-joie.
L’Amiral souleva son verre, la main tremblante. Une drôle de couleur tournoyait
dans un fin récipient de cristal ouvragé. Pas orange. Pas vert. Plutôt… vrange,
ou overt?
Il sentit qu’il approchait d’une révélation fondamentale dans l’histoire
de l’alcoolisme, mais son esprit ne parvenait pas à atteindre la transcendance.
Son cerveau embrumé luttait face à des concepts bien trop compliqués. Il laissa
tomber, haussa les épaules et engloutit le liquide. Son gosier brûla d’un feu
de forge. Une partie coula à côté de sa bouche, traversa sa barbe taillée par
le meilleur barbier de la cour de l’empereur du Nord, et macula son uniforme de
cérémonie. Taché, le blason de Stralsund avait désormais l’air ridicule.
-Bourrasques, lâcha-t-il en soupirant.
Pas mauvais, ceci
dit. Il lui fallait un autre verre.
Mark, son cousin,
son ami, son confident… son garde du corps aussi, ne
l’accompagnait plus. Il convolait en justes noces avec une marchande de tissus
de Jade, une île des mers du sud, l’une des principales colonies de Stralsund.
Un foutu trou à rats peuplé de fanatiques. Une jungle chaude et humide, ravagée
par les moustiques, l’île lui avait laissé un mauvais souvenir – il y avait
échappé à plusieurs tentatives d’assassinat.
A côté, Stralsund… La ville des arts, du luxe. La grande
métropole commerciale rayonnait sur le continent Nord, dominait les mers et
tenait à la gorge les royaumes du monde grâce à ses monopoles sur les épices et
les denrées rares en provenance du continent Sud. Le grand emporium, dont lui,
l’Amiral, ivre, donnait un exemple lamentable auprès des dignitaires de
l’empire militaire des steppes nordiques. Un pays plat à perte de vue, peuplé
de fous furieux armés jusqu’aux dents, qui lorgnaient sur le sud verdoyant du
continent avec des yeux qui brillaient. Une région loin au nord, là où il
faisait glacial, là où les types s’habillaient de peaux de bêtes sans aucun goût,
là où l’art consistait à dépecer un ennemi et créer un tableau avec ses
entrailles. Peuple de poètes, ricana l’Amiral.
-Qu’est-ce que je fous ici gémit-il.
L’océan lui
manquait. Il était brut, mais honnête. On savait à quoi s’attendre. La mer ne
jouait jamais double jeu.
Il se prit la tête à deux mains. Par la Dame ! L’alcool ne suffisait même
plus à étouffer ses scrupules ni à calmer ses migraines. Le Consul de Stralsund
l’avait désigné expressément pour représenter la ville, et il était en train de
tout foutre en l’air. Il reprit la carafe de ce liquide… disons vrange,
trancha-t-il, et décida de boire directement au goulot. Tout le monde le
voyait. Il entendait les murmures moqueurs derrière lui. Il se ferait tancer
par sa vieille tante, Roda, l’ambassadrice de Stralsund, une mégère de
quatre-vingts ans au caractère de feu. Bah, il avait l’habitude. Il lui
manquait juste Mark pour couvrir ses arrières.
Oui, ce foutu lâcheur l’avait prévenu. “Un jour, toi aussi tu te lasseras
de butiner de fleur en fleur, et tu trouveras une donzelle qui te fera faire
n’importe quoi”. Imbécile de jeune marié.
Il
avait raison, ce con. Dommage que la donzelle soit la fille de l’empereur. Et qu’elle lui ait
demandé de l’aider à s’évader.
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