lundi 27 septembre 2021

Orion (4)

 

Cela faisait deux jours qu’Orion tentait toutes les manœuvres de son répertoire afin de distancer la flotte du seigneur de guerre. Il lui avait fallu toute son expertise pour diriger son navire, le Stralsund, en suivant les vents et courants. Cora s’étonnait encore de la transformation radicale de son compagnon. S’il se montrait prévenant et s’inquiétait de son bien-être, il n’avait pourtant pas quitté son poste, ni rejoint sa cabine. A peine un verre de vin coupé d’eau douce et un quignon de pain, engloutis sans même y faire attention.

L’homme, concentré sur sa tâche, ne ressemblait pas au dandy fanfaron qu’elle connaissait. Calé sur la barre, il lançait des ordres d’un ton sans réplique. Autour de lui, tout l’équipage s’activait, manipulait les voiles et les cordages sans aucun doute. La jeune femme ne s’attendait pas à ce que l’équipage respecte autant celui qu’elle n’avait connu que comme un désinvolte alcoolique. La mer transfigurait son allié de circonstance. Il lui semblait… à sa place. Vraiment lui-même. Elle commença à y croire.

Orion (2)

 

Orion se réveilla dans une chambre luxueuse, le crâne martelé par des milliards de petits pics à glace. “Sans doute le vin de Kern”, se dit-il. Il lui faisait toujours un sale effet. Il avait rencontré le propriétaire des vignes lors d’une soirée à Stralsund, et ce sale type, Giovanni Di Solari, puait l’escroc à plein nez. Il était comme son vin : douceâtre en apparence, et plombant en arrière-goût.

La bouche pâteuse, Orion peina à faire le point. Son regard se porta sur des meubles en bois laqué, travaillés, sur lesquels des rosaces gravées représentaient des scènes de chasse. Des candélabres les surmontaient, aux formes de figures féminines graciles. Plus loin, une cheminée éteinte imposante, un tapis de peau de bête. “Ha ouais, les steppes”, se souvint-il. Il soupira. Des odeurs de bois ciré et d’encens flottèrent jusqu’à ses narines. L’Amiral sortit de sa couverture de fourrure, s’assit et grimaça lorsque son pied toucha la pierre glacée.

Orion (3)

 

Six mois avaient passé. Six mois de plus dans cet enfer glacé des terres du Nord. A croire que le printemps n’existait pas. L’empereur des steppes avait longtemps cru pouvoir franchir les montagnes et ravager le continent, mais des rebellions incessantes sur ses arrières l’avaient contraint à massacrer ses rivaux les uns après les autres. Orion, ambassadeur de Stralsund, suivait donc une cour devenue itinérante, errant de village perdu en bourgade fortifiée, en compagnie de sa tante, Roda, une vieille excentrique qui louvoyait dans ce panier de vipères comme si elle était née là-dedans. Il la soupçonnait d’ailleurs d’avoir une ascendance de crotale. Il s’efforçait de la fuir dès que possible.

Lorsqu’elle mettait la main sur lui, elle prétendait « mettre du plomb dans sa cervelle de moineau » et le traitait comme un gosse, lui fourrant dans le crâne des listes interminables de dignitaires étrangers, les jeux d’alliance, les mythes et légendes locales… Bourrasques, quelle mégère !

Orion (1)

 

Orion. Quel drôle de prénom, songea-t-il. Héritier des Olsen, la famille qui dirigeait Stralsund, la plus grande métropole commerciale du continent, d’une main de fer. Des serres, plutôt, tant ces rapaces avides monopolisaient les richesses du monde.

A dix-huit ans, son oncle, le Consul de la ville, lui avait attribué la charge honorifique d’Amiral, que son père avait porté avant lui.  On lui avait confié un navire, pour un voyage d’apprentissage. Cinq ans plus tard, après avoir écumé tous les bouges des îles du sud et les bordels les plus huppés comme les plus sordides, il se trouvait dans les steppes du nord, à des centaines de lieues de l’océan. Mission diplomatique.

Diplomate. Lui, Orion. Ben tiens !

Le jeune homme tendit une main délicate en direction d’un verre ébréché et crasseux, s’en empara et fit tourner le liquide doré. Il en observa les volutes, la couleur, y vit briller comme un million d’étoiles. La constellation d’Orion était peut-être au fond de son verre. Ou il était encore bourré, comme souvent.