Nom des dieux. C’était ça,
une maison de riche ? Le plafond, peint d’une fresque colorée aux détails
subtils, l’écrasait à une hauteur vertigineuse. Le vestibule aurait pu loger
une vingtaine de familles et annonçait un escalier à deux branches, de marbre
blanc veiné de noir. Diane distingua une enfilade de pièces sur un couloir à
gauche, et, à droite, une pièce incroyable.
Les yeux ronds et la bouche grande ouverte, elle serra la main
sur son dé fétiche à s’en faire mal aux phalanges.
La gamine suivit le capitaine et la belle dame comme un automate. Diane fut éblouie par des lustres rutilants, assourdie par le brouhaha des
conversations, oppressée par la foule, assaillie par des parfums exotiques. Des
serviteurs obséquieux avec leurs ridicules perruques poudrées naviguaient entre
des îlots de riches marchands, qui conversaient en riant trop fort dans cet
océan de richesses. Leurs regards faux lui firent penser à des bancs de
requins. Ces espèces de monstres décrits par les pêcheurs sur les quais, qui encerclaient
les navires, les bouches aux dents acérées… Enfin, c’est ce qu’elle imaginait. La
fillette n’avait jamais pris la mer.
Au loin, tel un mirage, des tables ployaient sous le poids de
viandes froides, fruits, légumes, pains… le tout découpé dans des
formes étonnantes. L’estomac de la miséreuse gronda et elle retint un flot de
salive.
-Diane, vous valez bien plus que tous ces paons, asséna
la belle dame en se penchant vers elle.
-Qu’est-ce que je fais là ? trembla-t-elle.
-Ils sont comme sur les quais, mais chez eux, la saleté
est à l’intérieur, la rassura Dorotéa. Vous vous souvenez de votre mission ?
Bien. Je vous fais confiance. Allez manger un morceau, et tendez l’oreille.
Diane souffla un bon coup, hocha la tête
et s’avança. Elle observa un temps les femmes fardées de couleurs criardes,
puis décida de les imiter. Elle marcha, comme si le monde lui appartenait, et
fila droit vers le buffet. Elle était à sa place, ici. Tout le monde ignorait qui elle était, d’où elle venait. Eux aussi avaient la courante quand ils mangeaient un truc pas frais. Bande de
moules. Non, d’huîtres, c’était plus prestigieux. Mais ça puait autant.
L’orpheline chipa une assiette et commença
à empiler des victuailles : rôti, petits pains, crevettes, et une pelleté de
choses qu’elle n’identifia pas. Le repas fila à toute vitesse dans son gosier :
des épices, de l’acidité, de l’amertume, du croquant, du flasque… Une partie de
son butin dévia discrètement dans ses poches, au cas où. Elle ne savait même
pas ce qu’elle mangeait.
Un verre de jus de fruits trop sucré lui rinça
la gorge. Le ventre prêt à éclater, pas habitué à pareil traitement,
l’apprentie espionne rôda dans ces eaux troubles, tendit l’oreille et chercha
les autres enfants. Des rires éclatèrent en provenance d’une petite pièce, au
fond de la grande salle de bal. Ses pas la menèrent dans une annexe où une
poignée de gamins de son âge jouait à se poursuivre.
Seuls deux d’entre eux n’y participaient pas. A peu
près de son âge, ils s’étaient isolés dans un coin de la salle. Une jeune fille
aux longs cheveux blonds et aux yeux bleues, vêtue d’une tenue extravagante, et
un jeune homme à la tenue plus sobre semblaient lancés dans une grande conversation.
Diane examina le garçon et cria presque :
-Putain, Elias ? Qu’est-c’tu
fous là ?
-Diane ? Bordel, mais et toi ? C’est quoi cette robe ?
-Et toi, ton costume, tu l’as fauché où ?
Les deux gosses des rues s’étudièrent, sous le regard ébahi de la jeune fille à la robe de satin richement brodée. Et ils éclatèrent de rire.