mardi 18 février 2020

Diane (1)

Ce texte est le premier jet de l'atelier d'écriture 2020 du Festival de l'imaginaire de Lambesc, dirigé par Pierre Gaulon, sur le thème : "Improbable destinée". Première séance sur le thème du destin et de l'introduction du héros.

On dit que les lois du Destin échappent aux lois des hommes.

A l’instar d’un marchand lançant son navire sur les flots, qui, dans l’attente fébrile du retour à bon port, est dans le même temps enrichi et ruiné, tout individu subit le bon vouloir de la Bonne Fortune. Cette maîtresse capricieuse, qu’il faut savoir flatter et attirer vers soi, cajoler et séduire…

Pourtant, le sort peut être en parti contrôlé. Se prémunir des drames n’est certes pas toujours possible, mais, pour reprendre le voyage de notre marchand, il aura mis toutes les chances de son côté. Il aura des cartes, des instruments. Il aura su lire dans les cieux les risques de tempête. Il aura entretenu son vaisseau. Étudié les cours de la bourse et su où, quand et à quel prix vendre ses marchandises.

S’il est malin, il n’aura pas non plus mis toutes ses finances dans un seul voyage. La Bonne Fortune est une maîtresse volage.

Oui, celle-là même qui, d’un seul jet de dé, vous rendra euphorique avec un six, ou désespéré avec un triste un.

Ce jour-là, elle lança un six.

 ***

“Si je fais six, je remporte la mise”, annonça une petite voix déterminée.

“Ha ! Tu l’as déjà sorti cinq fois de suite, ton dé est pipé !”, répondit une voix criarde.

“Certainement pas !”

Le dé n’était qu’un modeste cube d’un demi-pouce. Le gamin le soupesa, l’étudia. Il s’agissait d’un dé métallique, finement ouvragé. Les faces semblaient luxueusement gravées. L’objet dénotait dans son univers. Autour du groupe, quelques caisses défoncées, un tonneau percé et des odeurs de poisson pourri. Cette ruelle perdue dans le quartier des Pêcheurs n’était pas vraiment l’endroit où l’on aurait pensé trouver ce genre de coquetterie. Le gamin lança le dé pour voir, et sortit un deux.

“Où tu l’as fauché, d’abord ?”

“J’l’ai pas fauché, tête de nœud! J’l’ai depuis qu’j’suis née!”

“Tête de nœud toi même, fille brûlée !”

“Répète ça?”

“Fille brûlée, fille brûlée!”

La fillette à la tignasse couleur de feu cria sa rage et se rua sur l’autre môme. Les autres se déplacèrent et firent cercle, scandant le nom des deux combattants. Pendant que les bourre-pifs pleuvaient, le dé métallique s’échappa et roula. Il cahota ici et là, chahuté par les deux chiffonniers. Les vivas des uns saluèrent un coup de coude, les autres rirent aux éclats lorsque le genou de la gamine trouva les parties intimes de son adversaire.

Pendant que le garçon, plié en deux, se recroquevillait sur le sol en terre battue, blême comme la mort, son adversaire souffla une mèche de cheveux rouge vif. L’avant-bras effaça le sang d’une lèvre fendue. Puis, la petite main à la peau pâle récupéra le dé, murmura une prière et l’embrassa.

Le silence se fit. Secoué dans la paume maigrelette de l’orpheline, le dé choisit son camp. Enfin libéré, il roula. Il esquiva un caillou, et, dans la stupeur générale, s’arrêta.

“Six! Aboulez les pièces, bande de moules !”